Infinisterre, suivi de Crash, d'Olivier Apert par Daniel Pozner

Les Parutions

31 mai
2006

Infinisterre, suivi de Crash, d'Olivier Apert par Daniel Pozner

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Et puis un jour on fout le camp au bout du monde, Infinisterre.
« L'homme seul avec lui-même », cela fait belle lurette qu'il est parti. Dans une envolée de mouettes : ses semblables ? Ainsi qu'Olivier Apert ne cesse de se décrire. Et de dire le monde, car il n'a rien d'un égoïste. Dandy mais pas nombriliste. Question de point de vue, de point de fuite.
Il semble que l'écriture d'Apert, poésie et théâtre, s'affirme, s'affine, de plus en plus ça souffle, à mesure que le rythme se fait plus heurté. Cassé : mais ni miettes ni poudre : des arêtes, des échardes. Trivial, hautain, empathique, lucide.
Depuis Comme au commencement (Editions Mihàly, 1998), une sorte de plénitude déchiquetée. D'équilibre : un pied dans le vide, l'autre sur la falaise. La trompette de Miles Davis, quand l'ascenseur chute en vrille vers l'échafaud ? (Je relève dans une bio de Miles : « la colère permanente d'un homme au caractère ombrageux ».) Ou récitatif dans une Passion de Bach ?
Dans certaines pages, ce qui resterait du Romantisme, même dans le plus « nul » d'aujourd'hui. Apert sait bien que les mouettes se nourrissent volontiers sur les décharges.

Confetti que les enfants amassent de leurs mains qui ignorent
les cendres & les crachats (au matin peut-être on brossera les petits ongles
adorablement crasses)


L'impossible sentiment (la marque des sentimentaux). Deux fresques (mais tachées, fendillées, humides, battues, couleurs criardes, falaises écornées), deux « poèmes longs » (à la mode russe, 1918 ou 1923 ?) : Infinisterre et Lament for the last poet of the century. Entre ces deux bornes, des cycles de poèmes plus « intimes » - et brefs : Drames, Haine Import, Sentimentale dictature, Pavane pour une Infante disparue. Misanthrope, misogyne, solitaire, l'aigre narrateur (s'il n'y a pas narration, il y a narrateur) l'est-il vraiment ? Les apparences... La carapace, qu'il se fait, de mots. Le cuir tendre. Et tendre le regard sur. Tendre, tendu.
Mais on détourne la tête pour cacher le coin de l'œil, ou cracher sur ce qui n'est pas, ou plus. C'est double négation : gueulante d'espoir. Cela n'en a pas l'air, mais pourrait aller même jusqu'au fleur bleue, sans le mystère de la langue - et si êtres et mondes n'étaient pas si complexes. Puis le bleu est de pétrole, la langue déjà noire et les fleurs, ce qu'elle se sont pris de napalm !

Bref, désespoir. Et désespoir du désespoir.

Le livre se clôt, s'écrase sur Crash.

Cette seconde section s'ouvre sur un long exergue, description cruelle et minutieuse des « vautours des mers » : goélands et mouettes, qui serait tirée d'un Nouveau Dictionnaire d'Histoire Naturelle appliquée aux Arts, à l'Agriculture, à l'Economie rurale et domestique, à la Médecine, etc., publié en 1818. « Ainsi que les vautours et les autres oiseaux de proie, les goélands et les mouettes supportent la faim patiemment. Baillon, excellent observateur, assure qu'il en a possédé qui ont vécu neuf jours sans prendre aucune nourriture. Leur voracité est telle, qu'ils avalent l'amorce et l'hameçon ; et ils fondent dessus leur proie avec une telle violence, qu'ils s'enferrent eux-mêmes sur la pointe que le pêcheur place sous le poisson qu'il leur offre en appât. » Erudition ou canular ? Il est difficile de trancher. Olivier Apert s'est-il fait bête de bibliothèque sur les traces du comte de Lautréamont ? L'on serait plutôt tenté de penser que par pudeur et goût du pastiche, le poète a composé son autoportrait en « Larus ». Son portrait ou celui de ses contemporains ? « Avides et gourmands, ils se battent avec fureur pour s'arracher leur proie ; ennemis les uns des autres, ils s'attaquent même sans motif apparent : mais malheur à celui qui est blessé, ainsi que les tigres, la vue du sang redouble leur humeur féroce, et le blessé devient une victime, qu'ils immolent à leur voracité. » Compagnon de plume de Baudelaire, mazouté, Apert semble avoir écrit, sous couvert d'une simple citation, un nouvel Albatros, paradoxal, écorché réversible. ll retourne une chaussette sanglante de mots par laquelle se mêlent et se font face l'individu et le monde ; impossible, évidemment.

Je voudrais encore noter. (En vrac, mais j'avais écrit frac.) Pierrot. Noir. Avion. Mythe. Chiens. « There is no night. » Guerre. Visions. Inquiétudes. Dissections. Exclamations. Sexe. Typographie. Paradoxe. Drames. Danse. Lisbonne, Dublin, Sein, Ouessant, Molène. Paris XIVe et 14th street. Beauté. Adieu. Etc.

PENN AR BED
au bout du
bout du monde
que fuis-tu
[... ]
Partir
mais c'est éprouver
la tristesse du retour déjà »


Le Finistère : Penn ar bed , en breton, signifie le début du monde. La fin du monde comme au commencement. La fin du monde, c'est le début du monde : infini.
Foutre le camp, alors ? Question de point de vue. Au cœur. Lunette d'approche. Décrire le monde. Objectif ? Démesure. La coupe est pleine ! Jamais assez.
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