Une ligne d'Anne Parian par Nathalie Quintane

Les Parutions

18 oct.
2008

Une ligne d'Anne Parian par Nathalie Quintane

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Ce troisième livre d'Anne Parian en un an construit, dans l' œil du lecteur au moins, une perspective. On peut y lire à nouveau la continuité du dessein d'un dessin (cf. Monospace, P.O.L. 2007), le "radical" posé en principe - enthousiasme pour les "sciences dures" (= jonchée, Les petits matins, 2008) ou, ici, pour la peinture dure (cf. page 13, une autre addition, claire et majuscule : AD REINHARDT + IS… = AMOUR …TERNEL) - mises pour "poésie dure", bien entendu, poésie dure et dévastée par les conditionnels et une syntaxe à retraits et avancées successifs qu'on ne peut, même ici (ça parle d'amour-passion), seulement rabattre en métaphore sexuelle :

Je fus tentée de traduire, quel embarras, quelques états du corps, comme à vous destinés, ou " pure entrave ". Je ne le pensais pas. Cependant, de ces aveux solitaires j'admettais, ferveur, la crédulité, quand je vous y avais, à quel titre, je le faisais d'à vous m'adresser, mêlé.

Cependant, le soin qui est mis, une fois de plus, à tracer (ligne, dessin, perspective) ne doit pas faire oublier qu'Anne Parian est de beaucoup la plus calculatrice (elle l'a assez littéralement dit); on aurait peut-être tort de s'en tenir à ce soin, considérant simplement le périmètre qu'il tracerait à l'intérieur du périmètre poétique patent (ou patenté) - telle catégorie, groupe, étiquette ou club.

En reformulant brillamment une esthétique éloignée (le Baroque), en empruntant tous les chemins et les bouleversant *, s'adressant, ce faisant, non plus à ses contemporains immédiats (Mallarmé, par exemple, qui est aujourd'hui encore celui avec lequel le(s) poète(s) discute(nt) essentiellement - ou Hölderlin, si l'on veut; ou Wittgenstein) mais à de plus anciens, comme à ses contemporains, Parian exhorbite le (et s'exhorbite du) périmètre poétique.

Un rapprochement avec le beau travail et la non-position (?) de Ryoko Sekiguchi serait certes intéressant, mais peut-être pas si pertinent - bien que Sekiguchi ait elle-même consacré un recueil au jardin (Héliotropes, POL, 2005), bien qu'elle signale ce texte comme "une réponse de ma part à la forme poétique de la "Muwashshah", souhaitant que cette réponse "soit digne d'être envoyée aux poètes d'autrefois qui avaient inventé cette forme qui ne cesse de nous émerveiller." On imagine mal une telle formule chez Parian, et on pourrait dire, sans trop risquer de se tromper, qu'elle admire les anciens autant qu'elle s'en fout, le moment venu. Le raffinement des livres de Parian n'a d'égale que leur férocité - = jonchée étant, à ce jour, le plus joyeusement violent.




* la violence d'un d'Aubigné :
J'ouvre mon estomac, une tombe sanglante (...) et vois au fond mon cœur parti en deux.
Une ligne, 11 : je nous entends/le faire et l'ayant fait ce livre/entièrement selon/vous en une ligne/seule encore/ne le refaisons pas et sans/miroitement j'enfonce/en vous mon coeur/et le retire);

la précision d'un code : Une ligne reprend les 5 plaisirs de l'amour baroque : le regard, les mots, le baiser, les caresses, la jouissance;
l'écriture en miroir : Sponde : Ecrire est peu : c'est plus de parler et de voir/De ces deux œuvres l'une est morte et l'autre vive, etc. Parian : le livre interrompu nous sépare, etc.

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