Mallarmé m.l. par Jean-Claude Pinson

Les Poèmes et Fictions, poésie contemporaine

Mallarmé m.l. par Jean-Claude Pinson

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faute de colombes, avons fait un lâcher de mouettes (c'est d'ailleurs beaucoup plus difficile), histoire d'officialiser notre rabibochage avec Mallarmé, après une longue guéguerre.
Car nous lui en avons longtemps voulu d'une phrase malheureuse, et même imbécile (certes il était jeune), où il déclare ne pas vouloir donner sa poésie « à gâter aux ouvriers ». Texto


dire que D.R. and Aïe on ait peu apprécié, c'est vraiment peu dire (d'autres l'auraient traité de fumier pour moins que ça). On a trouvé complètement ridicule aussi sa façon, bouche en cul de poule, de prononcer avec des trémas le mot « poëte ».
Heureusement, sur le tard, il a fait son autocritique. Le déclic est venu d'un conflit avec des ouvriers, terrassiers, cantonniers, construisant devant chez lui, à Valvins, une ligne de chemin de fer. Dans la foulée, il a lu De la contradiction, le texte de Mao, et a même fini par prendre sa carte au parti m. l. Entre temps, Aïe lui avait fait part de sa découverte : un carnet de son grand-père maternel, où le jeune paysan d'un coup arraché à sa métairie par la guerre s'essaie à quelques vers, lors de sa longue captivité en Prusse. Des vers de cantonnier sans doute (ce qu'il fut par la suite toute sa vie aux chemins de fer), mais sur lesquels notre poëte a consenti, courtois comme toujours, à jeter un œil indulgent avec moi.
En retour, nous-mêmes avons fait notre propre autocritique. Une de plus. D'abord, on a exprimé des regrets pour l'avoir tant chahuté, le pauvre Stéphane, pendant les cours d'anglais (Aïe prétend que c'est à cause de mauvais professeurs comme ça qu'il n'a jamais vraiment pu apprendre cette langue). Et puis on a reconnu nos torts de gardes rouges, quand démobilisés on a voulu tout régenter sur la page. On a admis, notamment, que sur la question du reportage, c'était bien lui, Mllrm, qui avait raison. Car on a eu l'occasion, ici même, d'en faire la fâcheuse expérience : dès qu'on veut la faire marcher au trot du récit, la page se cabre. C'est pire dès qu'elle entend le moindre écho des marches militaires accompagnant nos sempiternels slogans (le cadre rouge pas davantage fait pour elle que le fameux cadre noir). Il n'y a que dans la musique d'Albert Ayler qu'elle supporte les fanfares. Sans doute parce que ça dérape en cavalcades et bonds d'écureuil


il fut question de nous envoyer à la campagne, pour la rééducation (Mallarmé, lui, avait bien dû s'exiler en Ardèche). Mais finalement, ça n'a pas été nécessaire. On a devancé l'appel et on s'est établi, Aïe et toute la bande, en bord de mer, au bout de la plaine que vous savez. On a juste eu à réciter deux ou trois de ses poèmes.
Aïe qui depuis les sait par cœur (facile, ils sont très mnémotechniques) les chantonne à l'oreille de Miss El Aniz


au fond, on a eu de la chance de ne pas naître népalais. Apparemment, les autocritiques dans les montagnes sont là-bas nettement plus corsées. Incisions, coups de couteau sur le corps du coupable et pour agrémenter le tout on parsème du piment sur les plaies. Même l'écriture, pourtant habituée à gratter ses plaies, n'en revient pas. D. R., néanmoins dubitatif, ordonne, lui, une enquête