L'Inédit (extrait) par Jean-François Puff

Les Apparitions

L'Inédit (extrait) par Jean-François Puff

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Mon père vient de publier un livre de poèmes chez le grand éditeur, G. Lui qui est tout à fait étranger à l’art de poésie ! Je vois la couverture crème, j’y lis son nom, J.-M. P. Il n’a pourtant rien fait d’autre qu’envoyer le manuscrit par la poste. Le livre est ouvert et je vois des poèmes, disposés sur la page en des sortes de plages de prose aérée, séparées par des blancs. Je lis, une liste de noms de villages aux Antilles, et je lui reproche d’avoir imité Aimé Césaire ; puis une phrase, où il est question de l’âme, que je reconnais être tirée d’une lettre qu’il m’avait envoyée il y a plus de vingt ans, au temps de mes premiers essais poétiques. Peut-être y avait-il dans ce très bref essai de correspondance comme l’esquisse d’une comédie, celle-du-père-qui-écrit-à-son-fils-qui-se-prétend-poète (mais paternel l’amour d’y croire). Je m’aperçois alors qu’il s’agit d’épreuves, en reconnaissant dans certaines lacunes du texte imprimé son écriture élégante. J’ai dû rajeunir depuis le début de ce rêve, je ne suis pas du tout jaloux, bien au contraire : je suis un bon petit garçon tout fier de son papa, qui a pas pas publié un livre de poèmes.

 

 

*

 

 Champ

 

Le vert de chaque herbe fait le vert du champ, le vert du champ qu’on voit d’avion, de l’avion que je vois, de ce champ où je suis étendu sans en troubler la couleur (et c’est comme dormir nu dans des draps frais avec sous la voûte du crâne la trajectoire d’une pensée silencieuse aux filaments légers

 

 

*

 

Contre-champ

 

Les lignes dans l’espace que l’esprit a tracées, sur lesquelles nous glissions, les droites et les courbes, cela qui fit l’objet d’un minutieux calcul

 

L’air et nous y étant, « conditionnés »

 

Ici ma place à la fenêtre ; ici (dans ce poème) place de la fenêtre

 

Il y eut caprice en fond de val : c’est-à-dire un ruisseau, ses méandres qu’il fut, un temps, possible au regard de suivre (oh ! méandres dictant à l’œil son mouvoir sinueux…)

 

Un feu passa dont la fumée, grise tournait au sous-bois gris

 

Un homme restait devant ce feu. Mais nous passions si vite qu’il n’était pas en train de nous voir.

 

*

  Traverser le rayonnement bleuté d’un regard, qui baigne tout l’espace : l’atmosphère claire est ce regard, le plus transparent qui soit. Voir là-bas regarder l’œil unique.

J’aurais vu l’œil de l’Autre, de celui qui fait mon malheur : l’œil qui regarde tout et ne fait que se voir.

 

*

 

 Ce qui, toujours changeant, ne changeait pas, au-dessus de nous,

 

au-dessus de ce que nous changeons, ce qui, selon notre durée, ne changeait pas,

 

nous le changeons. Enfin – nous atteignons aux ciels.

 

*

 

 De cette entreprise c’est la fin de la fin, la fin finit qui fut une si longue fin (peut-être pour que nous achevions de finir fallut-il que nous ayons jusqu’au bout épuisé la mélancolie des fins, que nous ayons atteint à la puissance de la désaffection, qu’on nomme indifférence).

 

Porte au temps qui finit sans possible indifférence l’image des débuts du temps, fillette porte au gris déchéant ta blondeur différente, brunissante ma fille infuse lui le rémanent ; transfuse la blondeur enfant.