Vers Vermersch, Thomas Dunoyer de Segonzac par Nathalie Quintane

 

Comment transmettre ? Comment transmettre une vie qui ne soit pas seulement Une vie mais de la vie ? 

 

Comment dire ce qu’est une vie de militant politique sans la lester de formules, d’idéologèmes, de passages obligés, sans chercher à la raccrocher plus ou moins lourdement/légèrement à ce qu’il convient de dire en 2024 pour qu’elle soit saisissable ? 

 

Thomas Dunoyer de Segonzac place une bombe dans celle d’Eugène Vermersch, journaliste, Communard, ami de Verlaine mort en exil à Londres à 33 ans, et cela donne Vers Vermersch, un livre de reprise poétique libre, très libre, prenant comme fil rouge la photo du visage d’Eugène, découpée en tranches en commençant par le haut (les cheveux) et qu’on découvre au fur et à mesure jusqu’au cou, en vis à vis d’une autre affaire de cou… 

 

Creux, lacunes, sauts, commentaires à gambades 

Oh oui oho oui, haut par Marat, mon léopard ! Mon lapin que j’aurais suivi partout. Comme je tremble en te lisant, Eugène. 

disent d’abord (c’est le point d’entrée d’une vie, celle d’Eugène, dans une autre vie, celle de Thomas), à cent cinquante ans de distance, l’admiration pour le militant politique, la vibration qu’une première vie, portée par des textes enflammés (Vermersch est l’un des fondateurs du Père Duchêne, dont on a en fac-similé des traces), donne à une seconde vie, comme irradiée par la première, ce transport amoureux qui pousse à aller plus loin encore (ou à continuer simplement), en épousant dans des noces ajustées à l’époque (la nôtre) l’anarchie et l’activité poétique — les découpes, les outils, les registres, les ambiances qu’elle met à disposition. 

 

On trouvera ainsi dans ce petit livre, en forme de réédition intégrée, le fameux poème de Vermersch Les incendiaires, qui vaut son Victor Hugo, 

un grand blanc ou, lectrice, lecteur, 

Ici tu peux dessiner tout l’arrière de la tête tel que tu l’imagines. 

des reculs critiques, y compris sur la vie admirable en question 

Quel que soit le sens dans lequel on choisit sur ce sujet d’envoyer «  la vapeur poétique », il reste, AU MOMENT DE FRANCHIR LA FRONTIERE

QUI NOUS FERA ARRIVER AUX YEUX

(…) 

Cette incapacité à déguiser en idéologie sa folie intime :

Un pauvre malade, même pas un pauvre type. 

Une liberté de reprise à même la langue

Je le précise tout de suite, je n’aime raie pas planer long taon, quand je parle des animaux et de leurs maux
car le texte est bref (60 pages) sans sècheresse, il est vif,

 

revenant par exemple sur l’idée de Benjamin d’une bibliothèque des rêves pour, en des pages magnifiques, nous montrer un à un les communards épuisé.e.s, piquant du nez partout, comme dans un long travelling buñuelien

Eugène Varlin, aimé de tous, est arrêté le 28 mai: il se reposait paisiblement sur un banc rue Lafayette, un passant le reconnaît et le dénonce. Il est emmené, lynché, puis fusillé. 

 

avant l’analyse fine de l’usage d’un mot : la « nervosité », mot des bourgeois de la fin du XIXe siècle pour condamner 

l’union énigmatique de la vigilance révolutionnaire en armes, du sentiment fraternel le plus frais et transparent, et de l’esprit de jeu.  

Cette manière de relever UN mot, d’en déployer toutes les articulations et d’en épingler précisément en quoi et où il nous affaiblit avant de nous exécuter publiquement est ici une opération poétique. 

Il est donc heureux que ce livre paraisse hors commémoration, trois ans après 2021, puisque par lui la Commune est vivante.