591 n°18 Fururisme et Constructivisme par François Huglo

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19 mars
2024

591 n°18 Fururisme et Constructivisme par François Huglo

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591 n°18 Fururisme et Constructivisme

 

 

            Souvenirs du futur. « En effet il semble bien vieux ce futur, il n’en a peut-être plus pour longtemps quand bien même certaines de ses idées auraient encore cours. (…) Si le passé n’a aucune vocation à devenir présent ou avenir, c’est même le contraire. En revanche nos espérances romantiques d’un monde meilleur se nourriront tout autant des tentatives de nos aïeux que des rêves de nos enfants (pour ceux qui en ont !). Gageons que le Futur ne soit pas mort dans 100 ans ». Ainsi parlait Ivan Messac, « artiste multipode et précieux ami » de Jean-François Bory qui à propos d’une « manifestation explosive », ou « explosion manifestive » de celui-ci autour de l’idée « La voix de Vladimir Maïakovski casse les théières », ouvre lui aussi un espace d’échange nécessaire, nourricier, entre présent et futur passé : « Vladimir clame dans le porte-voix que l’on retrouvera aussi dans les éléments en trois dimensions sur le buffet. Porte-voix inspiré par le porte-voix figurant dans le célèbre photomontage d’Alexandre Rodchenko et Varvara Stefanova. Vous ne voyez pas ? Vous ne vous souvenez que des tenues de Dark Vador dans Star Wars —moi aussi—mais savez-vous que votre honorable cerveau peut contenir les deux et bien plus en faire usage ; ça ne s’use pas mais, par contre, ça ne dure qu’une vie, un cerveau. Tant qu’à faire profitez-en ».

 

            Ivan Messac et Jean-François Bory se sont rencontrés à la fin des années 70. « Il ne restait pas grand-chose de l’épopée politique » de cette décennie, et ils tournaient leurs regards « vers les aventures artistiques du début du siècle », se rêvaient « Boccioni et Marinetti, Delaunay et Apollinaire, Bourliouk et Maïakovski ou Gaudier-Brzeska et Ezra Pound » alors qu’ils étaient « Ivan Messac et Jean-François Bory, peintre écrivant et poète photographe ». Jean-François « avait consacré deux numéros de sa revue, L’Humidité au Futurisme » et « participait aux soirées Polyphonix de poésie sonore », Ivan peignait « des roues de loteries foraines en tentant de leur impulser une dynamique empruntée pour partie aux tentatives de Giacomo Balla ». Plus et mieux qu’un article d’encyclopédie sur l’histoire du Futurisme et du Constructivisme, ils nous invitent à partager, à travers une mise en page, des formes et des couleurs, le parfum qu’en garde et diffuse leur souvenir, activement rêvé puisqu’ils n’en étaient pas contemporains : construit à partir d’ « incursions sauvages ». On peut voir comment les voyages de Messac en Futurisme, de Balla, Pramponi, Congiullo, à Léger et à Fortunato Depers, éveillent son intérêt pour les Arts décoratifs et appliqués et esquissent sa production sculpturale.

 

            Les deux compères nous invitent au banquet futuriste donné le 2 décembre 1983 pour le 39ème anniversaire de la mort de Marinetti. Ne manquent ni l’affiche, ni les menus, ni les photos des « assiettes en faïence noire et blanche à l’effigie de chaque convive », ni celles de ces dix convives ensemble ou par petits groupes, ni celles des boissons « aux couleurs de l’Italie » : Campari, lait, peppermint, mais les convives ont préféré le vin blanc au lait, et boudé le vert digestif. Café, si. Pâtes, no. « Basta con la pastasciutta ». Puis nous sommes conviés à « un thé futuriste en l’honneur de Maïakovski ». À partir de l’enregistrement sonore fourni par Jean-François Bory, Ivan Messac a réalisé un premier film d’une minute et demie. Quelques mois après ce portrait de Maïakovski, « La voix du poète brise les théières », il tournait celui de Marinetti, Voce amara, Dolce motore, « avec un biplan d’époque en vedette ».  

 

            Ivan Messac retrouve, en les recréant, « la théière attendant d’être brisée par la voix du poète » et le décor multipliant les « éléments en noir et rouge symboles de la révolution d’octobre accaparés par l’esthétique constructiviste. Un grand T pour le marteau, un grand Ç pour la faucille ». Jean-François Bory se souvient : « à l’adolescence, je lisais Essénine et Maïakovski et j’avais d’interminables discussions avec Xavier Kolomer, mon ami de toujours pour cet âge- là. Nous confondions allègrement Métaphysique, acné, trigonométrie et, dans le cas de la poésie, nous comptions fermement sur l’avant-garde pour poser les bases d’une théorie durable sur la forme et sur le fond. Sentiments objectifs et sentiments subjectifs. Où étions-nous allés chercher cela ? ».

 

            Le 2 décembre 2023 à la galerie Mortier, Jean-François et Ivan célébraient les 40 ans de leur Dîner Futuriste « en y associant les éléments destinés à un Thé Constructivo-Futuriste » : « 50 ans de peintures, sculptures, vidéos, objets, etc… dans 20 m2. ». Cela commença par l’exposition M versus M : « Maïakovski alter ego de Marinetti ? ». Que sont leurs futurs devenus ? Où irons-nous chercher les nôtres ? Contre nous de la tyrannie, l’éteignoir fasciste, l’éteignoir stalinien, sont à nouveau brandis, leur ombre envahit nos écrans. On comprend, sur l’affiche dont Ivan avait dessiné la maquette, la perplexité du singe regardant à ses pieds le texte « Le futur a cent ans ». Que reste-t-il de nos amours ? Le temps recréé.

 

 

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