Cahiers Bataille n° 5 par Christophe Stolowicki

Les Parutions

13 mars
2022

Cahiers Bataille n° 5 par Christophe Stolowicki

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Cahiers Bataille n° 5

Un bel et lourd volume noir d’écritures serrées, BATAILLE5 imprimé en couverture aux petits fers rouges de capitales formées en carré de bataillon dont perle le sang d’encre rose rubis, Bataille sous l’angle d’approche d’un bestiaire auquel ne manquent, entre cheval, cheval et tigre, taupe, taureau, ni homme ni spectre ni méduse.

 

Lourd, mercuriel de son pesant d’être et de lettres, de hêtre voire d’étant sur lequel le temps d’écrire étend son vol, sa littéraire kleptomanie.

 

Plutôt qu’une lecture suivie, rien n’égale d’y piocher, au fil d’une saisissante iconographie symbolique, telle la gravure par Louis Candide Boulanger d’un tigre dévorant sa proie équine, lui-même saisi au cou par la gueule d’un plus prédateur cheval, d’y happer du Bataille au filtre de ceux qu’il a happés.

 

Bien avant Denis Roche qui lance ses inadmissibles tentacules avant de replier son poulpe, Bataille animé par une « haine de la poésie » d’un bien plus poète (poète de sa vie) que Breton qui s’en fait le dernier gent d’armes, ou que ses chantres contemporains subventionnés. Bataille au filtre d’une vie portant sur toutes choses son regard dessillé, avec la rage conduisant les seuls récits romans selon lui qui vaillent (préface au Bleu du ciel). Dans un Manuel de l’Anti-chrétien, dans une revue Acéphale, de pulsion (im)pure.

 

« Je ne crois pas à la possibilité d’éviter d’aller jusqu’au bout des choses ».

 

Rubrique Hibou. « Le hibou survole, au clair de la lune, un champ où crient des blessés. Je survole ainsi dans la nuit mon propre malheur. […] Je pouvais au bordel me déculotter, m’asseoir sur les genoux de la sous-maîtresse et pleurer. »

 

Entrée Cheval et tigre, sous-titrée figures de l’économie chez Georges Bataille et signée par un iconoclaste chercheur en économie né en 1988, Raphaël Fèvre – Keynes et Marx tombent dans le même panier, d’une éthique de la dépense improductive. « L’idée a sur l’homme le même pouvoir avilissant que le harnachement sur un cheval » – et que le principe d’identité fondant l’échange marchand. Prôné l’acte gratuit, comme participant de l’énergie solaire illimitée, par un économiste haïssant les économies de bout de chant d’elles.

 

(Depuis, le street art, et tant d’œuvres éphémères sitôt détruites par leurs créateurs, nous laissent sur un regret, un goût amer, ou le soupçon de raisins verts.)

 

« L’acte sexuel est dans le temps ce que le tigre est dans l’espace. »

 

Où la « philosophie » désormais idéologise (parmi ses autres barbarismes), seule la poésie pense.  

 

Rubrique Fourmi. Sabrina Cardone relève elle aussi, à l’œuvre déjà en 1955, « la convergence du bloc occidental et du bloc oriental pareillement entraînés dans un processus d’homogénéisation et d’indifférenciation de l’homme […] conséquence du primat de l’activité productive à l’œuvre dans un camp comme dans l’autre », celle que Bataille avait dénoncée dans La Part maudite et La Souveraineté, comme portant une guerre exterminatrice « en passe d’être bientôt la banqueroute frauduleuse du genre humain ».

 

« J’enseigne l’art de tourner l’angoisse en délice. »

 

Entrée Lascaux, Bataille l’anti-muséal dans la célèbre grotte, où « un sentiment fort nous étreint que nous n’avons pas devant les vitrines […] C’est ce même sentiment de présence – de claire et brûlante présence – que nous donnent les chefs-d’œuvre de tous les temps ».

 

(En Israël, la sculpture contemporaine s’affiche à tous les coins de rues.)

 

Bataille portant toujours sur lui la photographie du supplice chinois d’un homme très découpé.

 

Manducation et eucharistie : le cannibalisme sacré des Incas, ou ce qu’il en reste dans le christianisme.

 

Une relation à l’animal entre éthique et métaphore, de chemin parallèle à l’éthologie – elle   brillamment méconnue. Une Somme Athéologique, l’abstraction portée à vitalité maximale, comme chez aucun philosophe sinon Nietzsche, en une « incarnation généralisée ». Même dans ses avatars les plus abstraits, la pensée de Bataille demeure dense, vibrante, mue à ressorts de détresse, de rage ou d’exultation. Un poète pense, intensément, où de cartésiens essayistes mettent en perce leur aérophagie.      

 

« Le monde est purement parodique » (L’anus solaire, celui initié par Lautréamont).

 

Bataille se dévoyant sur mère morte, son génie serré, sa profusion chagrine.

 

 

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