Derniers cahiers de Franz Kafka par Christophe Stolowicki

Les Parutions

01 déc.
2017

Derniers cahiers de Franz Kafka par Christophe Stolowicki

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Dans une traduction de Robert Kahn érudite, simple, littérale, de langue sèche exempte comme l’original de tout effet littéraire, la présente édition restitue ces derniers cahiers (1922 – 1924) au plus près du manuscrit, sans regroupements « anthologisants », tout en ébauches, reprises, fulgurances, départs de feu, et quelques nouvelles achevées : L’artiste de la faim, Les chiens musiciens, Le terrier, Josefine la cantatrice. Alterne brèves et longues un prosiprose dont la métrique reproduit en bravoure les battements de la terreur panique.

   

Sa tuberculose avatar d’anorexique bien conscient de mourir de peur, angst, l’anxiété qui évide – en artiste du jeûne il se produit en cage au cirque. Réinventée l’anaphore nous bat aux tempes la nature canine d’une communauté très raisonnante et musicienne que Josefine tient en haleine. En spirales concentriques, excentrées, toutes les galeries de l’esprit étayées à facettes, un labyrinthique terrier d’éthologie première campe d’angoisse exhaustive, obsidionale, un territoire introspectif à « placettes » de réassurance, réserves carnées, dans une exploration à double foyer, myopie exsangue, astigmatisme existentiel. Au plus creux de la condition juive s’accumulent des nuages bientôt solidifiés en banquise, celle du coup de hache – ici des carottages, des coups de sonde, et soudain la trouée d’une danse « au cours de laquelle le cosaque à coups de talons de bottes fouille et excave si longtemps la terre que sous lui se creuse sa tombe » de victime exécuteur d’un pogrom. Impeccablement digressif, onirique sans l’ombre d’un onirisme, un « nageur à contre-courant par plaisir d’être porté » édifie en marbre de cas rares un Temple de l’errance, de justesse intérieure la description ambiante aussi concrète que le béton de l’âme.

 

 « Soudain ils se tenaient là, en file indienne, tous les dix [] Bien vite on se disait que ce n’était pas du tout des humains, existe-t-il des humains avec des joues aussi décharnées, dans le creux desquelles la peau tombe en faisant des plis. » La file d’hommes à « bec de vautour à la place du nez », plutôt que la réincarnation d’un dieu égyptien évoque prémonitoire les fantômes des camps, un placard antisémite en guise d’appendice nasal.

 

Trêve de psychopathia sexualis, le vrai pendant de Sade, sans cravache ni trompette et à très peu de sexualité n’est ni Masoch ni Rousseau mais Kafka.

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