Un dernier verre à l'auberge d'Emmanuel Moses par Carole Darricarrère

Les Parutions

09 févr.
2020

Un dernier verre à l'auberge d'Emmanuel Moses par Carole Darricarrère

  • Partager sur Facebook

 

 

 

         « Un poème fait de rien
           Une poignée de sable ou un mouton de poussière
           Moins encore
           Une tache de buée sur la vitre froide
           Un poème qui pourtant grandit
           Comme l’herbe des champs
           Comme l’enfant. »

Penché il vacille, le tao de l’inspiration, entre le pain noir et le pain blanc, le vide et la vitesse, l’œil et le pinceau, ils s’absinthent, les absents, aux fines décantations de la vue qui ouvre, des signatures derrière la vitre, page à page sur le non-dit de l’eau, s’absorbe en intimité, le marc du passage en autant d’incises et coulures, sur le fil du temps perdu. Ainsi volute en connivence et couverture, d’ostalgie en nostalgie, de la première gorgée au dernier verre, en regard d’une nature morte de Liliane Klapisch en suspension de temps, l’esprit des merveilles de Verlaine, ‘Chagrins et Joies’ confondus, ainsi prend forme le la sobre de la présence.

Comme un regard se faufile dans les interstices entre l’air et l’air à fleur le vivant, une image à chaque virage, se décante calmement d’une autre, comme pollens et poussières, font ruche dans le décor, un bon paquet de souvenirs, l’enchantement retard d’un feu de feuilles mortes, craque des ombres dans le noir, il y eut, restes et peu au crayon comme lumière, la poésie d’Emmanuel Moses, traits courts, deuil le chemin. Entre le fond et la surface une mise à distance, « Où il y a un immense paysage vide », par un jeu de perspectives, une image se greffe et s’intercale, « Cette image - une petite fille en rouge - était déjà une autre image, à savoir son reflet exact. » 

 

           « On monte dans l’escalier
              Qui est-ce
              Les pas sont lourds comme l’histoire » 

Comme Verlaine, continue de monter en mémoire comme neiges en vacuité, dont s’entend, entre le beige et le gris, dans les vacances, le plomb des « semelles retentir », entre les lignes silence quelque chose à dire, l’oubli, ses strates ses traces, appelons-le oblee, oublee, oublie.

Livre de poésie comme autant d’arrêts sur lecture, « L’après-rêve s’établit » sur « Le reflet du jour sur une piécette perdue », du ciel de quelque fond de poche « Un silence noir monte vers l’aigle / Vers les roches érodées / Et rejoint la caravane du temps / Sela » s’égrène, tandis que dans les batteries du réel, « Le monde est filé comme un bas » et que le poulet chlore le « veau gras » d’un antan, tout est là encore, l’accord, attente à rebours d’un revenir, et, en filigrane d’un « entombement » (« L’‘entombement’ de l’amour » est le temps consonant du poème), « La nuit allemande, humide et froide », chandelles et fantômes, de ces choses que l’on ne saurait suggérer sans avoir recours au poème, point lisse son final.

Recueil de poèmes comme notes s’échappant de quelque fenêtre en soi, et nos morts, que portons à la lumière, du monde l’abat-jour, de quel bord, penchant sur (le père ?), ensemble d’éclats d’écriture comme autant de regards sondent le temps, tout poète qui se respecte vit à contre-pied d’un décalage « Sans espoir d’y remédier », l’intuition n’a pas d’intention l’instinct rêve la pensée.

Des poèmes, « dont la légère ironie/Masque mal la mélancolie », une sensibilité désabusée à cœur plus yin que yang, des poèmes comme les encens bleus d’une Gitane font des ronds dans l’air, « J’ai oublié de dire / Qu’il est l’heure à chaque instant » (...) « de tourner autour d’un axe imaginaire pour répandre la grâce » (...) et que « Mettre un éléphant dans un poème c’est tout à fait possible », vestiges d’un humour certes, mais d’un humour « à demi-clés », dernier verre d’un breuvage doux-amer en guise de cigüe, avec (parfois) les ombres velours de Vénus sur le vocabulaire comme des sons étrangers venus d’une autre planète invitent au départ comme retour, « Dieu », « jacaranda », « mescal » ou « caravelle ».

«  Échappe-toi ! / Échappez-vous ! /Pauvres êtres attachés au pain de la terre, au vin des villes / À cette antique image portée sur vos épaules / D’âge en âge. » dit le poète à l’homme, cette  « œuvre hyperréaliste » d’un dieu disparu, être est un verbe qui infuse dans l’écart.

 

 

 

Retour à la liste des Parutions de sitaudis